C'aurait pu ressembler à ça: "Chéri?... Chéri, réveille-toi, je viens de perdre les eaux. Oui, je sais qu'il fait nuit, mon amour mais Bébé ne le sait pas, lui". Ou à ça: "Mon chéri, c'est moi... Pourrais-tu lentement ranger tes affaires, faire un grand sourire à tes collègues, quitter doucement ta réunion
et te mettre en route? Rien ne presse mais... grouille-toi quand même, s'il te plaît, ça fait maaaaaaal"... Je rêvais d'un départ hollywoodien à la maternité, le genre précipité, papa sens dessus-dessous, maman aussi haletante que béate...
Mais dans les faits, rien de tout ça... Un p'tit grimpeur de bonne volonté mais une ascension du col plus longue que prévue, l'alpiniste-en-chef a décidé d'abréger la randonnée... En termes moins poétiques: mon col restant désespérément fermé et Bébé ayant dépassé le terme de 10 jours, Dr Espoir a préféré me faire entrer en clinique pour un déclenchement. Plus sûr pour Bébé.
Et pourtant, je vous jure que j'ai essayé chacune des prescriptions du Dieu Internet, le plus consciencieusement possible: câlins ("déclenchement à l'italienne", qu'on appellerait ça...), ménage, marche, tisane de feuilles de framboisier, sauts à cloche-pied, vélo (si!!!), montée des marches à genoux (bon, là, j'admets... j'ai pas tenu 2 marches: ça fait mal), des centaines de kilomètres en voiture... Je me suis également faite épauler par la sage-femme qui me suivait depuis le 2e trimestre: acupuncture et homéo... à dose massive (le comble!). Rien n'y a fait.
Bref, je suis donc entrée, en salle de naissance, le 18 juin à 21h pour tenter d'amorcer le travail... Un peu la mort dans l'âme, j'avoue: après une conception hypermédicalisée, un premier trimestre de grossesse qui l'avait été tout autant, je rêvais d'un accouchement des plus natures. La parade du Dr Espoir à ce gros coup de blues? Me répéter que j'étais une couveuse d'enfer!!! C'est vrai que ça remonte le moral ;-)
Seulement... pensez-vous réellement que des petites ovules vaginales de rien du tout, quelques litres de perfusion, la rupture artificielle de la poche des eaux et des contractions tellement peu espacées qu'elles n'en formaient plus qu'une seule longue, atrocement interminable et douloureuse , allaient venir à bout de la couveuse d'enfer que j'étais??? Que nenni, mes bonnes dames!
Et là aussi, je vous promets qu'on a fait tout ce qu'on pouvait, Bébé, Chéri, Dr Espoir, les sages-femmes , mon col et moi. Une équipe de choc pour un résultat relativement nul...
Quand le 20 juin, 18h, je l'ai vu entrer avec sa mine des mauvais jours, j'ai su. J'ai su que nos efforts allaient se solder par une issue que je redoutais depuis des semaines.
Après m'avoir examinée pour une enième fois, j'ai compris que mon col et moi , élèves têtus, étions définitivement recalés. "Vous dilatez d'un cm toutes les 4h, vous en êtes à 5,5 cm d'ouverture; on vous a fait faire toutes les positions du kama-sutra obstétrical... On peut encore attendre mais le risque que le coeur du bébé commence à fatiguer va s'accentuer. Il fait beaucoup d'efforts pour descendre. C'est à vous de voir". "Tu parles d'un choix!", que je lui ai répondu. Ma mauvaise humeur relativement inhabituelle à son égard l'a fait sourire. J'ai regardé Chéri, l'implorant de prendre la décision que je savais être la plus raisonnable mais que j'avais tellement de mal à admettre. "Non, cette fois, on y va, ça fait deux jours que ça dure, on ne prend plus de risques". Dr Espoir a paru soulagé et craignant que je n'émette un avis contraire, a immédiatement appelé l'anesthésiste... Césarienne programmée pour 20h.
Alors qu'une sage-femme me préparait, tant physiquement que mentalement, j'essayais de retenir mes sanglots. "Après n'avoir pas été fichue de tomber enceinte toute seule, me voilà maintenant incapable de faire naître mon enfant... Assistée jusqu'au bout, quoi!"...
Telles étaient les pensées sombres qui se bousculaient dans ma petite tête de moineau. Trop centrée sur le scénario que j'avais idéalisé pendant 9 mois (et plus...), et que je n'aurais pas, j'oubliais qu'un petit bonhomme, à l'intérieur de moi, bien plus courageux que je ne l'étais, se battait pour venir à la vie, risquant le pire, à tout moment.
Je suis entrée au bloc, vers 20h15, laissant Chéri en salle de naissance. Nous allions devenir parents, loin l'un de l'autre. C'est seul qu'il s'accoucherait comme papa... Pénible impression.
Je ne vous détaillerai pas l'opération, ça n'a pas beaucoup d'intérêt et pour être franche, j'en serais bien incapable. Non que j'ai été endormie mais le contre-coup des deux jours écoulés, et la douleur des contractions m'ont mise dans un état second. Je me souviens d'avoir été prise de tremblements incontrôlables, de vomissements... J'arrête là? Je crois que ça vaut mieux, en effet! ;-)
Mais il m'est tout aussi difficile d'exprimer ce que j'ai ressenti par la suite. Car il n'existe tout simplement pas de mot pour décrire le bouleversement qui m'a envahie quand j'ai rencontré mon enfant.
A 20.58 exactement, mon bébé a poussé son premier cri. Et j'ai versé mes premières larmes de maman.Ce bébé tant attendu était enfin sur moi. Ce bébé? Mon bébé!! A ce moment-là, j'ai été propulsée dans un monde parallèle, dans une bulle d'amour intense, un amour dévorant... Tout recroquevillé sur lui, je savais que ce petit être avait définitivement changé notre vie.
J'ai couvert sa frimousse de bisous, serré ses petits doigts dans les miens, caressé ses cheveux, sa tête... Il fallait que je me persuade que ce n'était pas un rêve... Tout ça me semblait trop beau. J'ai fait le plein de son odeur, puis j'ai demandé à la sage-femme qu'on le monte auprès de son papa. A eux de faire connaissance maintenant.
Au bout d'une petite demi-heure, j'ai pu monter à mon tour.
Quand je suis entrée dans la chambre, Chéri se tenait debout, portant amoureusement notre fils. Il a levé vers moi un regard empli de fierté, de pudeur et de tendresse.
C'était l'image du bonheur. J'avais enfin ma réponse: c'était maintenant le bonheur...
Pour la petite histoire, je n'ai pas dormi de la nuit. Je ne parvenais pas y croire... J'avais peur de m'endormir et de réaliser que ce n'était qu'un rêve... Je l'ai contemplé. Admiré. Bisouillé. Caressé. Remercié.
Aujourd'hui, Adrián a deux mois et demi. Je le contemple toujours autant, je le bisouille toujours autant :-)
J'y crois juste un peu plus...
Il y a presque un an, c'était un minuscule point blanc sur un écran. Aujourd'hui, il est toute ma vie.
Il y a presque an, j'étais persuadée que ce bonheur n'était pas pour moi... A vous qui attendez, ne l'oubliez pas.